Les conflits organisationnels sont bien plus qu’un simple désaccord entre individus ou groupes. Ils incarnent souvent des tensions profondes entre différents intérêts, valeurs ou priorités. Dans ces situations, les parties prenantes — qu’il s’agisse d’employés, de managers, de clients ou de partenaires — jouent un rôle crucial. Selon l’étude de Smail Eddakir et Abdelkader Maaroufi intitulée « Le management des conflits dans les organisations : quels apports de la théorie des parties prenantes« , une gestion efficace des parties prenantes permet de désamorcer les tensions et de transformer les conflits en leviers d’amélioration organisationnelle.
L’analyse des auteurs met en lumière la complexité des relations entre parties prenantes et organisation, soulignant l’importance de critères tels que le pouvoir, l’urgence et la légitimité pour identifier et prioriser ces acteurs clés. Adopter une approche structurée pour collaborer avec les parties prenantes est indispensable pour prévenir l’escalade des conflits, mais aussi pour construire des relations durables et génératrices de valeur.
Cet article propose une démarche pratique et stratégique pour prioriser et gérer les parties prenantes dans les conflits organisationnels. Il s’adresse à tous ceux qui souhaitent mieux comprendre les dynamiques d’influence et mobiliser les outils nécessaires pour transformer ces moments de tension en opportunités d’innovation et de résilience.
Identifier les parties prenantes dans un contexte de conflit
Les conflits organisationnels ne se limitent pas à des désaccords internes. Ils impliquent souvent une multitude d’acteurs, internes ou externes à l’organisation, qui interagissent, influencent ou sont directement affectés par la situation. Ces parties prenantes jouent un rôle déterminant dans l’évolution et la résolution des tensions.

Les parties prenantes internes
Les acteurs internes incluent les employés, les managers, et parfois les syndicats ou comités d’entreprise. Chaque groupe peut avoir des intérêts, des attentes et des préoccupations spécifiques qui alimentent ou atténuent les conflits :
- Les employés : souvent directement impactés par les décisions ou changements, ils peuvent exprimer des frustrations liées à des perceptions d’injustice ou à des déséquilibres dans les responsabilités.
- Les managers : en première ligne de la gestion des tensions, ils doivent naviguer entre les objectifs organisationnels et les attentes de leurs équipes.
- Les syndicats ou représentants du personnel : ils représentent les intérêts collectifs et peuvent amplifier les tensions si leurs revendications ne sont pas prises en compte.
Les parties prenantes externes
En dehors de l’organisation, les parties prenantes externes, comme les clients, les fournisseurs ou les communautés locales, peuvent être impliquées :
- Les clients : un service ou produit de qualité moindre peut engendrer des tensions, leur fidélité étant mise à l’épreuve.
- Les fournisseurs : des délais non respectés ou des différends contractuels peuvent générer des conflits dans la chaîne d’approvisionnement.
- Les communautés locales : dans le cas de conflits d’ordre sociétal ou environnemental, leur perception de l’organisation peut jouer un rôle crucial.
Cartographier les parties prenantes pour mieux comprendre leurs rôles
Pour naviguer efficacement dans ces situations, il est essentiel de réaliser une cartographie des parties prenantes. Cet outil permet de :
- Identifier les parties prenantes clés qui influencent ou sont influencées par le conflit.
- Évaluer leur degré d’implication, en se basant sur leur influence, leur légitimité et leur urgence.
- Comprendre les relations entre les parties prenantes, notamment leurs éventuelles alliances ou oppositions.
L’identification précise des parties prenantes est une étape incontournable pour prioriser les actions et éviter une escalade inutile des tensions. Une fois cette étape réalisée, l’organisation peut entamer un dialogue structuré pour trouver des solutions adaptées aux attentes de chacun.
Comprendre les relations d’influence et d’interdépendance
Dans toute organisation, les parties prenantes sont liées par des relations complexes, où influence et interdépendance jouent un rôle crucial. Ces dynamiques deviennent particulièrement visibles en période de conflit, lorsqu’un changement ou une décision controversée déclenche des tensions.
Les bases de l’interaction entre parties prenantes et organisation
Les parties prenantes, qu’elles soient internes ou externes, ne fonctionnent pas en vase clos. Elles interagissent constamment, influencées par des facteurs tels que les priorités organisationnelles, les contraintes de ressources, ou encore les valeurs culturelles. Ces relations sont souvent asymétriques, certains acteurs ayant une influence plus directe ou un rôle clé dans la résolution des conflits.

Les conflits peuvent émerger lorsque :
- Les intérêts divergent : par exemple, un département peut privilégier des objectifs de réduction de coûts, tandis qu’un autre valorise la qualité et l’innovation.
- Les rôles sont mal définis : des zones d’ambiguïté dans les responsabilités peuvent entraîner des tensions interpersonnelles.
- La communication est insuffisante : un manque d’échange d’informations peut amplifier les incompréhensions.
Impact des déséquilibres de pouvoir
Le pouvoir est un facteur déterminant dans les conflits organisationnels. Certaines parties prenantes, en raison de leur position stratégique, peuvent exercer une influence disproportionnée. Cela peut être bénéfique pour résoudre rapidement des tensions, mais aussi créer un sentiment d’injustice ou d’exclusion pour d’autres acteurs.
Exemples de déséquilibres de pouvoir :
- Les managers : dotés d’une autorité hiérarchique, ils peuvent imposer des décisions, mais risquent de perdre la confiance de leurs équipes si ces décisions sont perçues comme arbitraires.
- Les employés influents : certaines figures informelles ou leaders d’opinion peuvent mobiliser des soutiens pour faire valoir leurs intérêts.
- Les parties prenantes externes puissantes : des clients majeurs ou des fournisseurs stratégiques peuvent exercer une pression directe sur l’organisation pour infléchir ses décisions.
L’importance de l’interdépendance
Les parties prenantes ne sont pas seulement des acteurs d’influence ; elles sont également interdépendantes. Le succès de l’organisation repose souvent sur un équilibre délicat entre ces relations. Lorsqu’un conflit éclate, cette interdépendance peut soit aggraver la situation, soit favoriser une solution collaborative.
Pour mieux comprendre ces relations, il est utile de :
- Cartographier les flux d’influence entre parties prenantes.
- Évaluer les dépendances critiques, comme les ressources ou informations partagées.
- Analyser les alliances potentielles qui peuvent soit soutenir, soit compliquer la résolution du conflit.
Comprendre ces relations d’influence et d’interdépendance permet aux décideurs de mieux anticiper les réactions des parties prenantes et de structurer une approche équilibrée pour la résolution des tensions.
Méthodes pour prioriser les parties prenantes dans la gestion des conflits
Dans une situation de conflit, toutes les parties prenantes ne jouent pas le même rôle ni n’ont le même poids dans la résolution du problème. Pour agir efficacement, il est essentiel de définir des priorités en fonction de critères objectifs et de structurer l’interaction avec ces acteurs.

Définir des critères pour prioriser les parties prenantes
La gestion stratégique des parties prenantes repose sur trois critères essentiels, décrits par Mitchell et al. (1997) :
- Le pouvoir : capacité d’une partie prenante à influencer les décisions organisationnelles. Par exemple, un client majeur ou un cadre dirigeant possède souvent une forte influence.
- La légitimité : perception que les revendications ou actions d’une partie prenante sont justifiées ou conformes aux normes et valeurs partagées.
- L’urgence : nécessité d’apporter une réponse rapide à une demande ou une attente critique.
Ces critères, utilisés ensemble, permettent de classer les parties prenantes en plusieurs catégories :
- Latentes : peu prioritaires, car elles ne disposent que d’un seul critère. Exemple : un acteur externe ayant une demande légitime mais sans influence immédiate.
- En attente : plus influentes, elles cumulent deux critères et nécessitent une attention particulière. Exemple : des employés concernés par un conflit organisationnel et capables de mobiliser un soutien collectif.
- Déterminantes : elles réunissent les trois critères et exigent une intervention prioritaire. Exemple : des clients clés dont la satisfaction est essentielle pour la pérennité de l’entreprise.
Élaborer une grille d’analyse pratique
Pour prioriser les parties prenantes, les managers peuvent utiliser une grille d’analyse structurée :
- Lister toutes les parties prenantes affectées ou impliquées dans le conflit.
- Évaluer leur positionnement sur les critères de pouvoir, légitimité et urgence.
- Classer les acteurs par ordre de priorité selon leur capacité à influencer la résolution du conflit ou à être impactés.
Cette méthode permet de concentrer les ressources et les efforts sur les parties prenantes les plus pertinentes, tout en maintenant une veille sur celles qui pourraient devenir critiques à l’avenir.
Adapter les priorités aux enjeux du conflit
La priorisation doit également tenir compte du contexte et des objectifs stratégiques de l’organisation :
- Court terme : lorsque le conflit nécessite une solution rapide, les parties prenantes ayant une forte urgence et un pouvoir élevé sont prioritaires.
- Long terme : pour éviter que les conflits ne se répètent, il est crucial d’intégrer les acteurs ayant une légitimité forte dans des processus participatifs.
En hiérarchisant efficacement les parties prenantes, les managers peuvent non seulement désamorcer les tensions actuelles, mais aussi poser les bases d’une collaboration plus équilibrée et durable.
Stratégies pour collaborer avec des parties prenantes aux attentes divergentes
Les conflits organisationnels surviennent souvent en raison d’attentes divergentes entre les parties prenantes. Pour transformer ces tensions en opportunités, il est essentiel de mettre en place des stratégies de collaboration adaptées, fondées sur une compréhension claire des besoins et des objectifs de chacun.

Gérer les attentes et trouver des points de convergence
La clé de la collaboration réside dans la capacité à aligner des objectifs parfois opposés. Pour cela, les managers doivent :
- Écouter activement les parties prenantes : Comprendre leurs motivations, leurs préoccupations et leurs priorités est la première étape pour bâtir une collaboration efficace.
- Clarifier les objectifs communs : Identifier les zones d’intérêt partagé permet de créer des points de convergence, même dans des contextes conflictuels.
- Négocier des compromis réalistes : Plutôt que de chercher une solution parfaite, l’objectif est de trouver un équilibre acceptable pour toutes les parties impliquées.
Techniques de communication pour apaiser les tensions
Une communication claire et adaptée est essentielle pour réduire les incompréhensions et établir un dialogue constructif. Les managers peuvent adopter plusieurs approches :
- Encourager une transparence totale : Partager les informations pertinentes permet d’éviter les malentendus et de réduire les suspicions.
- Adapter le ton et le style de communication : Un discours empathique et respectueux facilite l’engagement, tandis qu’un langage assertif aide à poser des limites claires.
- Créer des espaces d’échange : Organiser des réunions ou des ateliers collaboratifs offre aux parties prenantes un cadre sécurisé pour exprimer leurs préoccupations et trouver des solutions ensemble.
Mettre en place des mécanismes participatifs
Collaborer avec des parties prenantes aux attentes divergentes nécessite souvent de les impliquer directement dans la recherche de solutions :
- Co-construction de projets : Impliquer activement les parties prenantes dans la définition et l’exécution des plans d’action renforce leur engagement.
- Création de comités interparties prenantes : Ces structures permettent de gérer les tensions en regroupant des représentants de chaque groupe autour d’un objectif commun.
- Feedback continu : Instaurer des mécanismes réguliers de retour d’information aide à ajuster les actions en fonction des besoins évolutifs.
Anticiper et gérer les résistances
Même avec les meilleures intentions, des résistances peuvent émerger. Pour les surmonter, il est important de :
- Identifier les sources de blocage : Manque de confiance, différences culturelles ou intérêts contradictoires.
- Adapter les stratégies : Par exemple, privilégier des discussions en tête-à-tête avec les parties les plus réfractaires pour comprendre leurs réticences.
- Valoriser les contributions : Mettre en lumière les apports de chaque partie prenante renforce leur sentiment de légitimité et leur motivation.
En adoptant une approche collaborative et structurée, les managers peuvent transformer les divergences en un moteur de créativité et de cohésion. La collaboration ne se limite pas à résoudre le conflit : elle pose les bases d’une relation durable et équilibrée entre les parties prenantes.
Les conflits organisationnels, bien qu’inévitables, ne doivent pas être perçus uniquement comme des obstacles. Ils offrent une opportunité unique de renforcer les relations avec les parties prenantes, à condition de les gérer avec stratégie et empathie. Comme le souligne l’étude de Smail Eddakir et Abdelkader Maaroufi, la théorie des parties prenantes fournit un cadre puissant pour comprendre et prioriser les acteurs clés, tout en tenant compte de leurs attentes et de leurs rôles respectifs.

Dans cet article, nous avons exploré les étapes essentielles pour identifier, hiérarchiser et collaborer avec des parties prenantes aux attentes parfois divergentes. Qu’il s’agisse de clarifier leurs rôles, de gérer les relations d’influence ou de mettre en place des mécanismes participatifs, chaque étape contribue à transformer les tensions en opportunités. Plus encore, cette approche proactive favorise une culture organisationnelle axée sur la résilience, l’innovation et la coopération.
Cependant, réussir à intégrer cette vision exige un effort collectif et une volonté de remettre en question les pratiques traditionnelles. Les managers jouent un rôle crucial dans cette transformation, non seulement en tant que médiateurs, mais aussi en tant que bâtisseurs d’un environnement où les conflits deviennent des leviers de progrès.
Investir dans des outils de gestion des parties prenantes, adopter des méthodes de communication adaptées et cultiver une vision à long terme sont autant de leviers pour garantir une collaboration durable et fructueuse. Au-delà de la résolution des conflits, c’est une opportunité de renforcer la pérennité de l’organisation et de fédérer les parties prenantes autour d’objectifs communs.
Pour aller plus loin :