Dans un environnement commercial en constante évolution, où l’innovation et la réactivité sont des facteurs cruciaux de succès, la gestion des connaissances est devenue essentielle pour les organisations. L’étude de John L. Rice et Bridget S. Rice, intitulée « The applicability of the SECI model to multi-organisational endeavours: an integrative review« , examine la pertinence du modèle SECI (Socialisation, Externalisation, Combination, Internalisation) proposé par Ikujiro Nonaka et Hirotaka Takeuchi dans leur ouvrage fondamental « The Knowledge Creating Company » (1995).
Les auteurs analysent comment ce modèle, initialement conçu pour des contextes organisationnels spécifiques, peut être appliqué de manière efficace aux projets multi-organisationnels. Le modèle SECI repose sur l’idée que les connaissances circulent au sein des organisations à travers un processus dynamique et interactif. Il distingue quatre éléments clés : la socialisation, qui facilite le partage des connaissances tacites entre individus ; l’externalisation, qui convertit ces connaissances tacites en connaissances explicites ; la combinaison, qui permet d’agréger diverses connaissances explicites ; et l’internalisation, qui consiste à réintégrer ces connaissances explicites dans les pratiques tacites des employés.
Cet article examine en profondeur chaque composante du modèle SECI et explore son application pratique dans les organisations contemporaines. En comprenant comment ces processus interagissent, les entreprises peuvent améliorer leur efficacité opérationnelle et renforcer leur capacité à innover, notamment dans le cadre de collaborations inter-organisationnelles.
Les quatre composantes du modèle SECI
Le modèle SECI se compose de quatre éléments dynamiques qui interagissent pour faciliter la création et la gestion des connaissances au sein des organisations. Chacune de ces composantes joue un rôle clé dans le développement et l’échange des connaissances, et leur compréhension est essentielle pour mettre en œuvre efficacement le modèle au sein d’une organisation.

Socialisation
La socialisation est le processus par lequel les individus partagent leurs connaissances tacites. Ces connaissances, souvent basées sur l’expérience personnelle, les compétences pratiques et l’intuition, sont souvent difficiles à articuler et à transmettre. Dans un contexte organisationnel, la socialisation favorise le partage de ces connaissances par des interactions directes et des expériences communes.
Les méthodes pour encourager la socialisation comprennent les ateliers, les séances de brainstorming et les discussions informelles, qui créent un environnement propice à l’échange d’idées et d’expériences. Par exemple, les « communautés de pratique » peuvent être mises en place pour rassembler des individus partageant des intérêts communs, facilitant ainsi la transmission de savoirs tacites. Une telle approche est particulièrement bénéfique dans un cadre multi-organisationnel, où la création de liens entre différentes entités peut enrichir l’ensemble du processus de gestion des connaissances.
Externalisation
L’externalisation est le processus de transformation des connaissances tacites en connaissances explicites et documentées. C’est une étape cruciale, car elle permet de rendre les savoirs individuels accessibles à tous au sein de l’organisation. La formalisation de ces connaissances sous une forme documentée, telle que des manuels, des diagrammes ou des rapports, permet à davantage de personnes d’y accéder et de les utiliser.
Pour faciliter l’externalisation, des outils comme les logiciels de gestion des connaissances, les plateformes collaboratives et les systèmes de documentation peuvent être utilisés. Ces outils aident à capturer et à structurer les savoirs, rendant la transition vers l’explicite plus fluide. L’utilisation de représentations visuelles, comme des cartes heuristiques ou des infographies, peut également aider à clarifier et à formaliser les idées complexes. Une externalisation efficace contribue non seulement à la création d’une base de connaissances organisationnelles, mais elle favorise également l’innovation en rendant les idées plus accessibles au sein de l’organisation.
Combination
La combinaison est l’étape par laquelle les connaissances explicites collectées sont organisées, agrégées et reformatées pour créer de nouvelles connaissances. Ce processus peut impliquer la mise en commun d’informations provenant de diverses sources et la recherche de connexions entre des concepts apparemment disparates. C’est ici que les compétences analytiques et la synthèse jouent un rôle fondamental.
Dans un contexte multi-organisationnel, la combinaison peut se traduire par des réunions inter-organisationnelles, des séminaires et des sessions de travail collaboratif où les équipes de différentes entités se réunissent pour partager et harmoniser leurs connaissances. L’utilisation de technologies de l’information, telles que des systèmes de gestion de projet et des outils de collaboration en ligne, facilite également cette combinaison en permettant un accès instantané aux connaissances au sein des partenaires d’un projet.
La valeur ajoutée par la combinaison réside dans la capacité à générer de nouvelles idées et à renforcer l’innovation. En intégrant les perspectives et les expertises variées de chaque organisation, les collaborations peuvent déboucher sur des solutions créatives qui répondent aux besoins et défis communs.
Internalisation
L’internalisation est le processus par lequel les connaissances explicites acquises sont transformées en savoir-faire tacite, enrichissant ainsi le répertoire de compétences des utilisateurs. C’est une phase critique pour garantir que les connaissances ne restent pas simplement documentées, mais qu’elles soient réellement intégrées dans les pratiques quotidiennes des employés.
Pour faciliter l’internalisation, des formations, des ateliers pratiques et des programmes de mentorat peuvent être mis en place. Ces initiatives permettent une immersion dans les connaissances explicitement définies, favorisant leur appropriation par les collaborateurs. Les feedbacks continus et les cycles d’apprentissage assurent que les savoirs sont régulièrement mis à jour et adaptés aux nouvelles réalités de l’organisation.
Dans un cadre multi-organisationnel, l’internalisation joue un rôle essentiel dans la consolidation des échanges de connaissances entre partenaires. En intégrant ces savoirs dans leurs pratiques, les organisations non seulement augmentent leur capital intellectuel, mais elles renforcent également leurs capacités à innover et à s’adapter aux changements du marché.
Applications du modèle SECI en entreprise
Le modèle SECI offre un cadre puissant pour optimiser la gestion des connaissances dans divers contextes organisationnels. Son application concrète peut se traduire par une multitude de pratiques et d’initiatives visant à renforcer l’apprentissage et l’innovation au sein des entreprises.

Pratiques recommandées
Pour tirer pleinement parti du modèle SECI, les entreprises devraient envisager plusieurs pratiques clés :
- Encourager une culture de partage : Favoriser des environnements où les employés se sentent à l’aise pour partager leurs expériences et leurs connaissances. Cela peut passer par des politiques formelles et des encouragements informels, ainsi que des espaces dédiés à la discussion et à l’interaction.
- Organiser des séances de formation : Les entreprises peuvent bénéficier de sessions consacrées à la socialisation des connaissances, notamment par le biais d’ateliers, de séminaires ou de groupes de travail. Ces initiatives facilitent le partage de savoirs tacites entre collègues, ce qui renforce les compétences de l’équipe dans son ensemble.
- Utiliser des outils adaptés : Investir dans des technologies de gestion des connaissances qui soutiennent les processus d’externalisation et de combinaison. Les plateformes collaboratives, les bases de données de connaissances et les systèmes de documentation jouent un rôle essentiel pour capter et structurer les savoirs partagés.
- Établir des cycles d’apprentissage continus : Mettre en place des formations régulières et des évaluations de performance pour s’assurer que les connaissances sont non seulement acquises, mais également mises en pratique. En assurant un feedback continu, les organisations peuvent adapter et améliorer le flux de partage des connaissances.
En intégrant ces pratiques, les entreprises maximisent l’utilisation des connaissances existantes et créent un cadre propice à l’innovation au sein des équipes.
Défis de la gestion des connaissances en alliances
La gestion des connaissances dans le cadre d’alliances stratégiques présente plusieurs défis qui peuvent entraver l’efficacité des processus de partage et d’intégration des savoirs. Ces défis doivent être pris en compte pour assurer une mise en œuvre réussie du modèle SECI.

Barrières culturelles et organisationnelles
L’une des principales difficultés réside dans les différences culturelles et organisationnelles entre les entités participantes. Chaque organisation a sa propre culture, ses valeurs et ses pratiques qui peuvent influencer la manière dont les connaissances sont partagées et interprétées. Par exemple, une organisation ayant une culture de transparence peut avoir du mal à collaborer efficacement avec une autre qui privilégie la confidentialité. Ces divergences peuvent créer des tensions et réduire la volonté des partenaires de partager des informations critiques.
Proximité et interactions
Le modèle SECI souligne l’importance des interactions et de la proximité pour le partage des connaissances tacites. Dans un contexte multi-organisationnel, les barrières géographiques, les différences de fuseaux horaires et même les pratiques de travail à distance peuvent nuire à la fluidité des échanges. L’absence d’interactions fréquentes et significatives rend le transfert de savoirs plus difficile, limitant ainsi le potentiel du modèle.
Technologies et systèmes de gestion
L’implémentation des processus de gestion des connaissances nécessite des outils et des technologies adaptés. Cependant, la disparité des systèmes utilisés par différentes organisations peut constituer un obstacle. Si chaque partenaire utilise des plateformes distinctes pour le stockage et le partage des connaissances, la synergie et la collaboration peuvent en souffrir. Il est donc crucial de mettre en place des systèmes interopérables qui facilitent un accès fluide aux informations pour tous les participants.
Manque de motivations et d’engagement
Un autre défi majeur est le manque de motivation ou d’engagement des employés impliqués dans les alliances. Si les membres de chaque organisation ne perçoivent pas les bénéfices de la collaboration ou ne sont pas incités à partager leurs connaissances, le modèle SECI ne pourra pas fonctionner efficacement. Des incitations claires, telles que la reconnaissance des contributions individuelles ou des récompenses liées au partage des connaissances, peuvent aider à contrer ce problème.
Pour surmonter ces défis, les organisations doivent adopter une approche proactive visant à favoriser le partage des connaissances au sein de leurs alliances stratégiques. En travaillant sur les barrières culturelles, en améliorant la technologie et en renforçant la motivation des employés, il est possible d’optimiser l’utilisation du modèle SECI et d’améliorer les résultats des collaborations inter-organisationnelles.

Le modèle SECI, conçu par Nonaka et Takeuchi, constitue un cadre puissant pour la gestion des connaissances dans les organisations. En abordant chaque composante—socialisation, externalisation, combinaison et internalisation—le modèle offre une compréhension systématique des processus de création et de partage des connaissances.
L’application pratique de ce modèle, comme discuté dans cet article, souligne l’importance d’établir des pratiques favorables au partage des connaissances et à l’innovation dans les entreprises. Cependant, la mise en œuvre du modèle SECI dans le contexte de projets multi-organisationnels présente des défis notables, notamment les barrières culturelles, les distances géographiques, et le manque d’engagement des acteurs.
Pour tirer pleinement parti des avantages du modèle SECI, il est essentiel que les entreprises adoptent une approche inclusive et collaborative, cherchant à surmonter ces défis par la création d’environnements de travail favorisant l’interaction et l’échange de savoirs. En intégrant ces stratégies, les organisations peuvent non seulement améliorer leurs pratiques de gestion des connaissances, mais aussi renforcer leur capacité à innover et à s’adapter aux évolutions rapides du marché.
Pour aller plus loin :
Rice, John & Rice, Bridget. (2002). The applicability of the SECI model to multi-organisational endeavours: An integrative review. International Journal of Organisational Behaviour. 9. 671-682.